Mieux comprendre les enjeux environnementaux

L’ensemble des gisements d’algues en Bretagne, sur l’estran ou en mer, constitue des écosystèmes complexes et particulièrement riches. Ils servent de support à un grand nombre de fonctionnalités écologiques, mais également patrimoniales et commerciales. Ces fonctionnalités peuvent être décrites comme des services écosystémiques rendus par ces écosystèmes. Cette notion, développée en 2005 dans le cadre du Millennium Ecosystem Assessment, peut être définie comme les bénéfices, directs et indirects que l’Homme retire du fonctionnement des écosystèmes [1]. Ces bénéfices sont classés en 4 grandes catégories : culturel, approvisionnement, régulation du vivant et support du vivant.

Ces fonctionnalités ont fait l’objet de plusieurs études, notamment en Iroise et ne sont plus à démontrer.  Ainsi, les grandes forêts de laminaires jouent un rôle essentiel dans la séquestration du carbone atmosphérique et sont également à la base d’un important réseau trophique. De nombreuses espèces (invertébrés, crustacés, poissons…) sont inféodées à ces champs pour tout ou partie de leur cycle de vie : abri, alimentation, reproduction, nurserie, nidification, etc…

Liens fonctions écologiques – services écosystémiques de l’habitat algues

Du fait de ces rôles particuliers, les secteurs rocheux avec couverture algale constituent des habitats naturels qui sont visés par de nombreux objectifs de conservation spécifiques. Ainsi, une majorité des gisements d’algues exploités en Bretagne se situe au sein d’une Aire Marine Protégée (AMP), nécessitant la prise en compte des impacts potentiels des activités humaines. En Bretagne, où près de 50% de l’espace maritime est classé en zone protégée, différentes catégories d’AMP existent, avec un statut, des objectifs et une réglementation propre à chacune d’entre elles. Par ailleurs, afin d’appuyer leur importance pour les écosystèmes, les forêts de laminaires de l’Atlantique nord-est ont été rajoutées sur la liste OSPAR des habitats menacés et/ou en déclin.

La liste des habitats menacés et/ou en déclin de la Convention OSPAR – forêt de laminaires – 2021

La convention OSPAR, entrée en vigueur en 1998, a pour objectif la protection du milieu marin de l’Atlantique nord-est. Elle a été adoptée par 16 parties prenantes, dont la France et l’Union Européenne. Sa mise en application se fait au travers de la commission OSPAR et de groupes de travail thématiques, qui adoptent décisions, recommandations ou accords permettant notamment l’établissement de programmes et de mesures internationales. Elle œuvre également à la mise en place coordonnée d’autres engagements internationaux ou régionaux tels que la Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM) de l’Union européenne et les Objectifs de développement durable des Nations Unies.

La stratégie OSPAR de protection et de conservation des écosystèmes et de la diversité biologique élabore une liste des espèces et habitats menacés et/ou en déclin nécessitant une protection. Elle est basée sur les nominations par les Parties prenantes et la Commission des espèces et des habitats qu’ils considèrent comme nécessitant une protection prioritaire. En 2021, après plusieurs années de travaux, l’habitat forêt de laminaires a été rajouté à la liste des espèces et habitats menacés en Atlantique nord-est [6]. Cette inscription a été motivée par l’importance écologique de cet écosystème et les menaces à court, moyen ou long terme pesant dessus (pollution côtière, récolte, anthropisation des zones côtières, changement climatique).

La principale menace identifiée est le changement climatique, entrainant un déclin des populations sur les limites de distribution sud des différentes espèces, ainsi qu’un développement d’espèces opportunistes plus méridionales qui rentrent en compétition avec d’autres espèces locales (une compétition entre Laminaria ochroleuca et Laminaria hyperborea commence ainsi à être documentée dans le Finistère), OSPAR a donc adopté une recommandation [7] visant à encourager les parties prenantes à renforcer la protection des forêts de laminaires au travers de mesures de gestion limitant l’impact de l’activité humaine et du changement climatique sur l’habitat.

En Bretagne, le constat est plus nuancé avec un état jugé stable dans le Finistère pour la plupart des forêts de laminaires étudiées. Pour Alaria esclulenta, le rapport d’étude indique un déclin significatif local de l’espèce, principalement en Bretagne sud, où elle était encore observée il y a 20 ans.

Concernant Laminaria digitata, l’analyse fait état d’une disparition de l’espèce en région Nord et Normandie, au profit des sargasses, ainsi qu’en Bretagne sud où la population est jugée en déclin significatif. Elle mentionne également un léger déclin des populations de Locquirec à Saint-Malo, avec notamment une perte en diversité génétique et des abondances plus faibles. Toutefois, la population dans le Finistère est jugée en bon état. Pour Laminaria hyperborea, l’impact du changement climatique est rapporté dans le rapport OSPAR, indiquant des modifications de l’aire de répartition et une tendance à être remplacée par Saccorhiza polyschides, principalement en Bretagne sud.

Les parcs naturels marins – Parc Naturel Marin d’Iroise

Ces aires marines protégées sont des outils ancrés sur leur territoire avec un objectif double : concilier le développement des activités humaines et la protection des écosystèmes. En 2007, le PNM Iroise (PNMI) est le premier parc naturel marin à voir le jour en France. L’organe de gouvernance est le conseil de gestion qui réunit l’ensemble des acteurs locaux : usagers professionnels et de loisirs, élus locaux, associations de protection de l’environnement, gestionnaires d’autres aires marines protégées, experts et services de l’état. Il a notamment pour rôle de définir le plan de gestion sur une durée de 15 ans. Par ailleurs, le conseil de gestion est systématiquement sollicité afin de rendre un avis sur l’ensemble des demandes d’activité, situées ou non sur son périmètre et susceptibles d’avoir un impact sur le milieu marin au sein de ce dernier. Il existe deux types d’avis : les avis simples et les avis conformes, auxquels les porteurs de projets sont tenus. Les activités de pêche professionnelle sont considérées comme pouvant avoir un effet notable sur les écosystèmes et doivent faire l’objet d’un avis conforme dès lors qu’elles rentrent dans l’une des catégories suivantes :

  • Les activités de pêche au moyen d’un filet remorqué à moins de trois milles nautiques des côtes ;
  • Le déploiement professionnel de toutes techniques, pratiques et engins de pêche, considérés comme nouveaux sur la zone, y compris à titre expérimental ;
  • Les activités de pêche pour les demandes d’autorisation entrainant une augmentation du contingent.

Les demandes de concessions de cultures marines (sauf renouvellement à l’identique) font l’objet d’un avis obligatoire simple du conseil de gestion. Le plan de gestion 2010-2025 précise que ce dernier souhaite favoriser l’implantation des fermes aquacoles en encadrant les conditions d’exploitation (environnementales et sociales). Il reste cependant vigilant à l’étude d’impact qui sera réalisée par le porteur de projet, et notamment son incidence sur les habitats remarquables.

Le réseau Natura 2000

Natura 2000 est un réseau européen dédié à la préservation de la biodiversité, qui répond aux directives européennes Oiseaux (1979, révisée en 2009) et Habitat Faune Flore (1992). Son but est d’assurer la conservation ou le rétablissement des habitats naturels et des espèces listés sur leur périmètre. Ces objectifs sont inscrits dans un document d’objectif élaboré localement par le Comité de pilotage. Si une activité est jugée incompatible avec les objectifs de protection, alors des mesures de gestion adaptées doivent être prises. Cela se traduit par une évaluation d’incidences que doit réaliser tout porteur d’un projet d’activité. Pour les activités de pêche professionnelle, les effets des pratiques sont évalués à travers une « analyse de risques » [10], pour laquelle une méthodologie spécifique a été mise en place au niveau national. Pour l’aquaculture, une autre procédure a été adoptée, se référant au schéma des structures ayant fait l’objet d’une évaluation environnementale.

Pour les activités de pêche en mer et à pied : les analyses de risque pêche (ARP)

Le principe de cette analyse consiste à superposer la cartographie des activités de pêche professionnelle à celle des habitats marins présents sur les sites Natura 2000. Après application de la méthode nationale[11], un niveau de risque de porter atteinte aux objectifs de conservation est attribué pour chaque couple engin de pêche/habitat : nul, faible, moyen ou fort. Si un risque moyen ou fort est identifié, une réflexion sur les mesures réglementaires à mettre en place est menée en concertation avec les professionnels.

La récolte embarquée des laminaires a été prise en compte dans les premières analyses menées à l’échelle de plusieurs sites Natura 2000 bretons. Les analyses de risque ont conclu que le cadre réglementaire en vigueur était suffisant. Toutefois, certaines lacunes dans la connaissance précise de certains habitats sensibles ont été soulignées, ainsi que la nécessité de mettre en œuvre des études et suivis complémentaires, notamment sur l’habitat champ de blocs. Dans le cas de la récolte d’algues de rive, la méthode a été déployée en 2022 au sein des sites Natura 2000 inclus dans le périmètre du PNMI pour la première fois. La cartographie des activités de pêche retrouve la précision du carroyage utilisé pour les déclarations de récolte (cf. section « La réglementation générale applicable à la récolte des algues de rive en Bretagne »).

Dès lors qu’une activité de collecte est identifiée dans un carré de 500 mètres de côté au sein d’une zone Natura 2000, ce dernier est intégré dans l’analyse des risques. Le travail à la précision du carroyage permet d’identifier finement les zones fréquentées par les professionnels, d’analyser l’effort de récolte et ainsi, de prendre en compte cette activité de manière précise.

Cette analyse est en cours sur ce territoire, les résultats ne sont pas encore disponibles. Une vigilance particulière est portée par le comité des pêches sur ce travail qui servira de référence pour cette activité sur les autres sites Natura 2000 en France.

Résumé schématique simplifié de l’ARP dans le cas de la récolte d’algues de rive professionnelle

Pour l’aquaculture : le rapport environnemental du schéma des structures des exploitations de cultures marines

Le schéma des structures est un document réglementaire qui encadre les activités de cultures marines au sein d’un département. Il impose notamment des normes techniques et des listes d’espèces autorisées ou interdites par bassin de production. Ce document doit faire l’objet d’une évaluation environnementale et d’un avis délivré par la direction régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Au sein d’une zone Natura 2000, les projets conformes au schéma des structures ayant fait l’objet d’un avis rendu par la DREAL sont exemptés d’évaluation d’incidences. Une déclaration de conformité au schéma des structures est suffisante. Dans le cas de figure contraire, les projets doivent faire l’objet d’une évaluation d’incidence réalisée par les porteurs de projet.

Les réserves naturelles nationales et régionales

Les réserves naturelles nationales sont les aires marines protégées les plus contraignantes et les plus anciennes.  Leurs objectifs sont la préservation et la conservation du patrimoine naturel, faune et flore, et en particulier de la diversité biologique. Pour la pêche ou la récolte, elles peuvent être synonymes de cantonnement ou de limitations strictes. En Bretagne, on dénombre 2 réserves naturelles régionales et 5 réserves naturelles nationales ayant une partie maritime, l’une de ces dernières faisant l’objet d’un projet d’extension en mer. A ce jour, les activités de récolte d’algues de rive sont considérées comme compatibles avec les enjeux de préservation associés. Cependant, certains estrans peuvent être interdits d’accès tout ou partie de l’année (réserve naturelle nationale d’Iroise) (périmètre terrestre incluant les estrans de certains ilots) ou encore interdits à la circulation de véhicules à moteur (réserve naturelle régionale du Sillon de Talbert). Il est donc nécessaire d’être vigilant quant aux accès aux lieux de récolte et aux évolutions possibles dans les réglementations de ces réserves.

Le label zone de protection forte

La nouvelle stratégie nationale pour les aires protégées adoptée au début de l’année 2021 prévoit un objectif de 30 % d’aires protégées (terrestres et marines) dont 10 % en zone de protection forte, avec un niveau plus élevé de protection. Il ne s’agit pas d’une nouvelle catégorie d’AMP, mais d’un label, pouvant être demandé par des gestionnaires d’AMP et qui doit permettre d’avoir un niveau de protection plus élevé sur des zones à fort enjeu sur leur périmètre.

En 2020, le conseil de gestion du PNMI a acté la demande de labélisation en zone de protection forte pour deux secteurs : l’archipel de Molène et la chaussée de Sein. Ce label permettrait de reconnaitre les efforts effectués par l’ensemble des acteurs, dont les pêcheurs professionnels pour la reconquête et la préservation du milieu. Les membres du conseil de gestion ont ainsi estimé que le cadre de gestion actuel des pêcheries d’algues est cohérent pour l’obtention du label et n’exige pas de mesures supplémentaires.

Le rôle des comités des pêches

le CRPMEM et les CDPMEM bretons sont membres des instances de gouvernance de plusieurs aires marines protégées : comités de pilotage des sites Natura 2000, conseil de gestion du parc naturel marin d’Iroise, comités consultatifs des réserves naturelles nationales, etc… Les comités participent à l’ensemble des réunions de concertation et aux nombreux travaux concernant les activités de récolte et de production d’algues. Cette assiduité est nécessaire pour assurer la prise en considération des enjeux liés à la production d’algues en Bretagne.

Plus spécifiquement, les Comités sont également fortement impliqués dans la mise en œuvre des analyses de risque pêche, et portent même généralement la réalisation de ces travaux, en partenariat avec l’Office français de la biodiversité (OFB). Ils sont donc à même de prendre en compte l’ensemble des activités et les enjeux socio-économiques associés, et d’être force de proposition lorsque la prise de mesures réglementaires s’avère nécessaire.

Par ailleurs, le CRPMEM Bretagne porte plusieurs programmes d’acquisition de connaissances sur les espèces exploitées en Bretagne (biomasse, cycle de vie, impact de la récolte), permettant de faire évoluer le cadre de gestion. C’est le cas des programmes Biomasse Algues (2016 – 2019) et AGRID (2019 – 2022).